São Sebastião do Rio de Janeiro

Février 1565, port de Salvador do Bahia.

Les bras appuyés au bastingage de la Frégate Minerva, tu observes la ville du gouverneur Mem de Sa  s’éloigner doucement tandis que votre bateau prend le large. A votre suite, la Corvette Nuestra Senhora da Gloria et huit autres navires enfilent votre sillage pour compléter votre expédition, chargé de soldats de la Capitainerie de Sao Vincente et de jésuites.  Il s’est passé tant de choses durant ses 2 dernières années que tu as du mal à remettre de l’ordre dans tes pensées.

Tout a commencé lorsque que tu t’es rendu aux côtés de la Marquise Ferreira Rodrigues à la cour du Roi du Portugal dans le château de Saint Georges. C’est là que c’est déclenché la suite des évènements qui t’ont conduit sur le pont du Minerva. La Marquise t’avait présenté à différents nobles de la cour, puis comme l’un de ses lointains cousins à Estacio de Sa, s’arrangeant pour que celui-ci te prenne à son bord pour son expédition dans le nouveau monde. Si celui-ci t’avait reconnu, il n’en laissa rien paraître. Et c’est cette même nuit que le Roi Sebastien 1er accorda à Estacio l’autorisation de reprendre la colonie de la France Antarticque. Ainsi fut scellé ton départ pour un univers totalement différent de celui qui fut toujours le tien.

Avant ton départ, la Marquise t’avait également affranchie sur cet univers. Oui les monstres existent. Et oui tu es désormais toi aussi la moitié d’un monstre buvant le sang d’un vampire pour préserver une force inhumaine. Tu sais que ceux-ci sont découpés en treize clans, qu’ils règnent en secret sur les hommes et qu’ils luttent entre-eux pour ce pouvoir. Tu sais aussi beaucoup d’autres choses, la Marquise s’étant assuré de rentrer au forceps toutes ces connaissances dans ton crâne.

Lorsque tu as quitté Lisbonne, ta maîtresse ne t’a donné qu’un seul mandat : faire en sorte qu’Estacio de Sa reprenne la colonie française de la Baie de Guanabara.

Votre première tentative fut un échec. Mal préparés, épuisés par la longue traversée de l’océan et en sous-nombre, vous avez été vaincus. Sergio qui t’avait accompagné sans rien connaître de ta nouvelle condition, conformément au désir de la Marquise, n’avait pas survécu à la boucherie. C’est sur ton conseil qu’Estacio sonna  la retraite et que vous vous êtes rabattus sur Salvador de Bahia. Un maigre avantage fut tiré de cette débâcle. Vous connaissiez à présent les forces françaises et leur point de défense central : le Fort Coligny sur l’île de Serigipe, et deux Brick qui mouillent à l’entrée de la Baie pour la défendre. Aujourd’hui à la tête de huit navires de guerre, de près de 1200 hommes parmi lesquels 400 soldats, vous vous apprêtez à tenter de réussir là où vous aviez précédemment échoué.

Alors que le soleil décline, Estacio a requis ta présence dans sa cabine pour un conseil de guerre privé. Vous n’avez jamais reparlé ensemble de cette nuit à Lisbonne. Plusieurs lampes à huile éclairent une table où se trouve la carte de la Baie de Guanabara.



Estacio, penché sur la carte, garde les yeux sur toi.

- Et bien, mon garçon, qu'en penses-tu?

Bientôt deux ans que j'avais quitté les rues de ma Lisbonne pour découvrir les "Amériques". Des souvenirs remontent à la surface comme des cadavres noyés, tandis que dans la pénombre de la lueur des lampes à huile j'étudie la carte devant celui qui n'avait été pour moi qu'un moyen de m'échapper de ma condition et vivre mon rêve. Une vision de Sergio, les yeux morts. Mon rêve. Celui qui avait mené mon meilleur ami à la mort. J'avais bien changé depuis. Le sang que je consommais régulièrement en toute discrétion et qui me rendait plus fort m'avait aussi rendu plus insensible. J'avais l'impression que ce jour là quelque chose en moi s'était brisé. Mon insouciance, peut-être. Ou mon envie de vivre. J'avais bien changé depuis. Les hommes de l'équipage pensaient que j'étais un combattant hors pair et chanceux, ce qui expliquait que je m'en sortais toujours avec quelques blessures sommaires qui disparaissaient très vite. Mais cela n'avait rien à voir avec Dame chance, mais avec une autre Dame, bien plus dangereuse.

J'observe encore un instant la carte de la baie, puis je lève un visage mangé par l'ombre aux yeux aussi noirs que la nuit vers cet incompétent d'Estacio. Un sourire un peu cruel que je n'aurais jamais eu il y a deux ans me déforme les lèvres :
- J'en dis que la France antartique vit ses derniers moments...

Je mets un doigt vengeur sur l'île du fort, en faisant le tour :
- Nous avons le nombre pour nous. Il faut encercler l'île de nuit. Un contingent de vos meilleurs éclaireurs devra débarquer en avance et éliminer les équipages des deux navires et les guets éventuels à terre avant qu'ils n'aient le temps de prévenir le Fort. Puis il faudra profiter de la surprise pour débarquer le reste des troupes très vite. Tout dépendra de notre rapidité. Voilà comment je vois les choses, dis-je en disposant les petits navires sur la carte et en expliquant le plan plus en détail : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fort_Coligny#/media/File:Serigipe_1560_Forte_Coligny.jpg

Je relève alors un regard dur comme la pierre vers le Capitaine de la flotte :
-...Et ne pas encore commettre une erreur stupide qui pourrait nous coûter la victoire...

Mon ton est assez autoritaire. Malgré le fait que je sache très bien n'être qu'un subordonné, sa façon de me traiter est claire. Même s'il ne sait pas exactement ce que je suis, il en a une vague idée. Et il sait que si nous échouons ici, nous n'aurons plus qu'à fuir nous cacher dans le nouveau monde ou mourir plutôt que de retourner auprès de ma Maîtresse.

Un vague sourire amical et une tape sur son épaule finissent par changer cette ambiance lourde en une plus affable :
- Je plaisantais, Capitaine, détendez-vous ! Tout va très bien se passer. Demain à l'Aube, nous serons les Maîtres de ce Fort, et les Français fuiront à terre la queue entre les jambes comme les sales bâtards qu'ils sont. On signera l'arrêt de mort de la France Antarctique, et je vous paierai une Cerveza pour fêter ça...

Mon ton se veut rassurant. Mais je n'en pense rien. Je me sens juste vide, seulement rempli par une envie de vengeance qui me consume. Je ne veux qu'une chose. Brûler tous ces Français jusqu'aux derniers pour leur faire payer la mort de mon ami, même si depuis j'ai appris que ma soif sanguinaire ne me rapportera pas Sergio. Ça reste au moins un soulagement temporaire.

Sans surprise, Estacio se rallie à ton plan. Si lui-même paraît se complaire dans le fantasme de son capitanat, il ne peut être dupe que les hommes te suivent toi, et non lui. Seule recommandation faite par le capitaine portugais que tu trouves digne d’intérêt, te servir des Indiens qui se sont rallier à la couronne portugaise pour passer le barrage des navires français en toute discrétion. Ainsi, après avoir mouillé toute une journée dans une crique à proximité, vos navires font route vers l’embouchure de la Baie de Ganabara, tous feux éteints.

A portée de votre cible, vous mettez dix chaloupes à l’eau, chargées d’hommes, de poudre, de mousquet, d'armes diverses, de grappins et de cordes. Dans le plus grand silence, sous le commandement de nage de chacune des petites embarcations, vous avancez à proximité des deux navires qui battent pavillon français. Sous ton commandement, les chaloupes restent à bonne distance des vigies françaises.

Lentement, votre groupe se sépare. 4 chaloupes passent au large, tandis que les 6 autres forment deux groupes de trois pour se diriger vers les navires en position de sentinelles. L’angoisse et l’excitation commencent à gagner chacun à mesure que l’assaut se rapproche.

Comme dans un ballet savamment organisé par tes soins, les chaloupes proche des bateaux français attendent le signe de ceux chargés d’atteindre l’île abritant le fort de Coligny. Après 30 minutes d'une longue attente, le signal arrive enfin.

[Je te laisse me dire à quel groupe tu t’es joint et me décrire comment vous vous y prenez, quel que soit ton groupe.]

La lune disparait derrière les nuages noirs qui s'amoncellent comme une lourde chape de coton sombre sur le ciel étoilé. Dans la moiteur de la nuit et le lent clapotis des vagues, trois chaloupes chargées d'hommes armés observent silencieusement la côte sur laquelle mouille paisiblement un des Bricks. Un murmure interrompt la tranquillité concentrée du petit équipage de l'un des esquifs :
- "Moi j'dis qu'y sont morts...
- La ferme, Enrique, tu vas nou..."
Mais il ne finit jamais sa phrase. Ma main s'était posée sur la bouche de Riario en intimant le silence à tous, leur indiquant les discrets signaux sur la côte. Relâchant mon étreinte trop forte de la bouche de celui que je considère un peu comme mon "second", je lance dans la nuit un signal muet aux deux autres chaloupes en levant une rame et commence à souquer sans bruit.

Tandis que nos embarcations remplies à ras bord des pires assassins et brigands que j'avais pu trouver fend les flots le plus discrètement possible, je leur indique au mieux une route en fonction des courants et des vigies éventuelles que j'avais repéré sur le brick. Je repense au déroulement de notre plan : équipés de tout le matériel adéquat pour aborder discrètement sur le navire, j'avais précisé assez inutilement à ces racailles des mers que cet abordage devait être expéditif, meurtrier et surtout ne permettre aucune alerte. Pas de quartier. Pas de survivants. Pas de témoins. Chaque couteau devait rencontrer rapidement une gorge, et personne ne devait pouvoir sonner l'alarme.

Je devais passer en premier, à la fois parce que j'étais un des plus silencieux, et pour des raisons que seul Riario soupçonnait en partie sans oser m'en parler. Peut-être parce qu'ils ne souhaitait pas vraiment entendre la réponse que j'avais à lui offrir.

Le sang de ma maîtresse coulait dans mes veines. Je sentais sa puissance et les dons obscurs qu'ils m'octroyaient. J'avais mis un peu de temps, mais je commençais à les discipliner. J'étais devenu une ombre rapide et puissante, un tueur capable d'assassiner plusieurs hommes et disparaître en silence avant même qu'ils ne touchent le sol sans un bruit. Tant que ce sang coulait dans mes veines, je devenais un Démon avec qui aucun de ces hommes ne pouvait rivaliser.

Une fois débarqués, s'en suivrait sûrement un massacre aussi cruel que violent. Quelques années auparavant tout cela m'aurait soulevé le coeur. Aujourd'hui je regardais ces visages, et ils n'étaient pour la plupart que des ombres pour moi. Un moyen d'assouvir ma soif de vengeance inextinguible. Même si je n'étais pas encore devenu un monstre, ces deux années m'avaient changé à un point que j'osais à peine m'avouer. Mais je prenais à coeur de garder une parcelle de cette si précieuse humanité, même si je devais fondre en larme toutes les nuits en m'éveillant d'horribles cauchemars. Au moins je n'étais pas devenu comme elle. J'aimais ma Maîtresse. Mais son inhumanité me faisait bien plus peur que la mort elle-même. Devenir ce monstre sans âme, voilà ce que je ne voulais pas. Mais j'étais probablement hypocrite d'entretenir de telles pensées après tout ce que j'avais fait au nom de la Couronne du Portugal ou de ma Maîtresse elle-même.

Peut-être suis-je déjà un monstre...

Je regardais la coque du Brick s'approcher dans la nuit. Aurais-je dû mourir cette nuit là à Lisbonne ? Etait-ce une sorte de Destinée, un message de Dieu ou du Diable ? Sergio aurait-il été épargné s'il avait pleuré ma disparition ? Je n'avais aucune réponse. J'inspirais longuement et expirais doucement dans l'air chargé d'embrun qui nous menait à notre proie. J'avais un bateau à aborder, et un équipage à massacrer. Je m'aperçus alors à la fin de cette expiration d'un sentiment étrange. Tout cela m'indifférait, et mes doutes s'étaient évanouis dans l'abîme de ces flots noirs, parfait reflet de mon âme.

Dans le silence des rames qui plongent dans l’eau, le premier éclair qui vient se briser dans la baie que vous convoitez en fait sursauter certains. Pas toi. D’abord simple clapotis sur les eaux d’une mer calme, la pluie devient rapidement des trombes d’eau lorsque vos chaloupes s’arriment à l’un des deux Bricks qui veillent sur l’embouchure de Guanabara. La pluie rebondit sur vos épaules alors que vos grappins accrochent le bastingage du vaisseau. « Fierté du Roy » as-tu pu lire à la poupe du navire français.

Aucune alerte n’a été donnée à votre approche, le temps orageux étant une aide inattendue mais bienvenue. A la force des bras, vous vous hissez jusqu’au pont, luttant autant contre la pesanteur que contre la pluie qui tombe avec force. Tout du long de ton escalade, un mauvais pressentiment ne cesse de grandir en toi. Comme une ombre noire qui planerait au-dessus du navire.

Alors que des rideaux de pluie poussés par des vents violents balaient le pont et font grincer les gréements, ton impression ne fait que grandir. Le pont est désert. Tes hommes se déploient sur le pont comme des fantômes en quête d’une âme à spolier, une vaine quête.

Et puis tu le ressens avant même de l’entendre. Le bruit de la mèche d’un canon qui se consomme. Pas sur les ponts inférieurs, là tout proche. Ton regard se porte vers les quartiers des officiers alors même que le bruit assourdissant d’un canon fait exploser la porte en une volée de bois avant qu’un boulet à chaîne de vienne balayer deux de tes hommes en leur arrachant bras et tête.

Vous étiez attendus!

Le sang des deux blessé vient se mêler au ruissellement continu sur le pont pour former des rigoles pourpres. Un instant interloqué, tu es obligé de réagir vite. Déjà les fusiliers français se répandent par la porte arrachée et la voix de leur officier résonne :

« En joue ! »

Frappé de stupeur, tes hommes, éparpillés sur le pont semblent complètement désemparés par cette manœuvre, tandis qu’un nouvel éclair vient illuminer une fraction de seconde le piège qui va se refermer sur vous.

Les rats sont sortis de leur cale. Filhos da mãe !

Je n'ai pas le temps de me demander comment ils ont su, ni qui nous a trahi. Mes hommes sont trop surpris pour réagir, et malgré que je sache qu'aucun bruit ne s'échappera pour l'instant d'ici sans que je le veuille, ce don n'est pas sans limite. Cette petite expédition pourrait vite se transformer en désastre si ce combat s'étend à tout le navire. Je dois régler ce problème, et vite.

Un éclair déchire le ciel.

Un instant je me demande si le sang dans mes veines ne parle pas à ma place, et si cette envie interdite qui m'étreint n'est pas le résultat de son influence. Mais le temps n'est pas à philosopher. Un sourire cruel étire mes lèvres devant la sensation grisante de la décision que j'ai prise, et c'est un visage de marbre ruisselant que j'offre aux Français lorsque je relève la tête de ma capuche noire. Mes yeux aux couleurs de l'abîme toisent les nouveaux venus avec une aura exhalant une menace indicible  :
- Eh bien...C'est tout, Messieurs ? Vous pensez nous avoir piéger avec vous...Mais c'est vous...Qui êtes piégez avec moi...

Un autre éclair se reflète dans les lames jumelles des deux longs poignards que j'ai sorti de mon dos. Le sang afflue, je peux le sentir envahir chaque muscle de mon corps tendu. Je ne suis plus qu'une poupée de rage et de sang. D'une poussée de mes bottes sur le pont détrempé Je me précipite en soulevant un chemin d'eau et de sang vers les soldats, tentant d'en attirer le plus possible sur moi et en tuant autant que je le pourrais.

Je ne laisserai pas cette mission échouer. J'aurais pu ajouter "au péril de ma vie". Mais c'était eux qui allaient mourir.
(dépense d'autant de points de sang qu'il le faudra pour se faire de la Célérité qui va bien, et ajout devant tout le monde de Puissance, au point où on en est ^^. Je maintiens la zone de silence d'Occultation autour de nous)

Comme en réponse à ton imprécation, un coup de tonnerre éclate dans le ciel, tandis que la sentence du capitaine français éclate : « Feu ! ».

Les fusils crachent leur poudre mortelle en direction de tes hommes, mais d’un bon prodigieux tu es déjà sur les soldats à la solde de la France. Eclairs luisants comme ceux qui zèbrent le ciel autour du navire secoué par une houle de plus en plus vivace, tes poignards ouvrent les gorges de deux fusiliers sans qu’ils aient le temps de réagir. Dans le feu de l’action, tu constates que quatre autres de tes hommes sont tombés sous le feu français, mais que les survivants t’emboîtent le pas en menant une charge féroce.

La hargne de votre assaut décime les premiers rangs de soldats français, mais ces derniers se réorganisent et dégainent à leur tour leurs sabres pour engager le fer. Malgré la pluie qui se déchaîne à présent, l’odeur du sang est partout. Après avoir éliminé cinq français à toi tout seul, tu atteins la position du capitaine du navire. Ce dernier lève son arme pour prendre la garde de quelqu’un habitué aux arts de l’escrime. Une moue de dédain déforme ses traits d’aristocrate :

- Racaille portugaise. Vous n’êtes bon qu’à tenter de vous approprier ce que les autres ont chèrement conquis.

Le navire ne semble plus se résumer qu’à votre duel, pourtant un rapide coup d’œil alentour t’informe que tes hommes se battent courageusement, mais déjà des renforts français affluent depuis la proue du navire, détruisant encore un peu plus vos chances de l’emporter.

Le capitaine français t’adresse une botte que tu pares avec difficulté. Ton adversaire est rapide. Très rapide. Plus rapide que toi constates-tu après trois passes. Comment est-ce possible ?  Un sourire vagit sur le visage blême du capitaine.

- Sang corrompu. Pensais-tu vraiment que tes maîtres seraient tout puissant ici ?

Le désespoir commence à grimper insidieusement le long de tes nerfs, quand un évènement incompréhensible perturbe le flot du temps. Une chape de plombs’abat sur le navire. Les gestes de chacun se ralentissent, comme pris dans une nasse temporelle. Tu le constates d’autant mieux que tu sembles par contre rester maître de tes mouvements qui ne subissent pas ce ralentissement.

Et qui t’offre une occasion unique de battre un adversaire que tu sais t’être supérieur.

Ma rage intérieure éclate avec autant de force que cet orage. La furie de mon cœur meurtri qui porte le nom de Sergio s'abat sur cinq de mes proies, mais ma soif de sang ne s'étanche pas pour autant. Ce n'est qu'un début. Mes hommes accompagnent cette rage de leurs cris et de leur mort pour certains.

L'escrimeur Français me prend totalement au dépourvu. Comment peut-il être plus rapide et agile que je ne le suis avec le sang Obscur ? Un frisson me parcourt. Un Vampire, ou un être tel que moi, mais plus expérimenté ? Ses mots résonnent dans ma tête, sans que j'en saisisse la signification profonde.

Je pare ses coups avec vaillance tentant de lui asséner une botte fatale, mais rien n'y fait. Je vais sûrement mourir ici, tué par un Français. La haine bouillonne dans mes veines, et ma volonté se raffermit. Je ne mourrais pas sans combattre.

Soudain, le monde semble s'arrêter de vivre. Comme si tout à coup la scène n'était plus qu'une toile hors du temps, peinte par un Dieu fou.

Santa Mãe de Deus...

Mes yeux sombres s'écarquillent, les poils de ma nuque se relèvent et mon esprit chancelle un court instant devant cette image contre-nature. Heureusement ou malheureusement mon impulsivité prend le parti de saisir cette opportunité plutôt que de tergiverser sur l'origine de cette intervention Divine. Ou Démoniaque.

Il semblerait que oui, bâtard de Français..., me dis-je en réponse aux dernières paroles prononcées par ce farouche adversaire, et qui seraient certainement son épitaphe. Même si cela gêne mes principes, un combat honorable est ici un luxe que je ne peux m'offrir. Et mes principes ne sont de toute évidence plus aussi vivaces, ayant laissé place à cette quête de châtiment qu'est devenue mon existence, au point de ne plus savoir qui en est vraiment la cible.

Quelques instants à peine après se sont écoulés. J'abats mes deux poignards vers l'épéiste immobile. Les leçons de ma Maîtresse et celles que j'avais appris sur moi me reviennent dans ces éclairs figés. Mes deux lames décrivent alors une courbe croisée sur son cou avec la force d'un taureau.

Toujours trancher la tête...

Tu n’as sans doute jamais livré un duel aussi difficile depuis que tu t’es placé sous la coupe de la Marquise Catarina Ferreira Rodrigues. Ni aussi étrange. Le sang que tu ingurgites te fait agir plus vite que les autres, de cela tu es conscient. Mais là, tu as l’impression que c’est l’univers autour de toi qui a ralenti. L’instinct de survie prend néanmoins le dessus sur ces considérations théoriques et d’un geste brusque et efficace, tu fais sauter la tête de l’officier français, mettant ainsi un terme à sa carrière dans la Marine ennemie.

Et tout revient alors à vitesse réelle. Comme si cette parenthèse temporelle n’avait existée que pour toi, les combats reprennent avec intensité là où il s’étaient figés. Mais la tête de l’officier français qui roule parmi les siens a un effet immédiat sur la résistance et l’organisation des soldats français. Ajouté à ta supériorité alimentée par ton sang, vous finissez par mettre les soldats en déroute et les derniers se rendent sans résister.

Enrique s’approche de toi :

- Quéqu’on en fait d’ces marauds français ? On t’les passe au fil de lame ?

Déjà tes hommes se répandent dans le navire pour le fouiller. Ton regard porte lui vers le fort Coligny. Si vous étiez attendus ici, qu’en est-il de ceux qui sont partis sur l’île de Serigipe.

Le fil de tes pensées s’interrompt quand Riario t’interpelle depuis la cale:

- Capitaine ! On a un problème… Venez voir.

Tu parcours rapidement les mètres qui te sépare du soldat portugais pour découvrir que les soutes du bateau sont pleines d’esclaves amérindiens !!!

Tandis que cette escarmouche touche à sa fin, je ne peux m'empêcher d'observer le corps sans vie et sans tête de cet adversaire que je n'avais vaincu que par miracle. Etait-ce un don obscur du sang de ma Maîtresse ? Une intervention divine ? Je souris à cette pensée. Je n'étais sûrement pas dans les bonnes grâces du Divin Père. Le Diable en personne était-il venu à ma rescousse pour me remercier de lui avoir offert mon âme ?

Je secoue la tête. Fariboles. Cela n'était sûrement que mon imagination. Je devais me ressaisir, car le temps était redevenu notre ennemi. Je jette mon regard noir vers le Fort, ne voyant que trahison et défaite. Mais je n'étais plus homme à me laisser arrêter par la moindre difficulté. Il y avait un traître dans nos rangs. Et une sombre intuition m'habitait maintenant, comme si je n'étais qu'un pion dans un jeu qui me dépassait. Si je n'avais pas rêvé, quelque chose était en train d'arriver ici, même si je n'en comprenais pas encore le sens. Malgré tout je n'avais aucun choix, il me fallait réussir envers et contre tout.

L'appel de Riario me ramène sur le plancher de bois, et descendant dans la cale, j'observe un instant tous ces esclaves à la peau foncée. Des indiens. J'ai toujours abhorré cette pratique, pourtant courante même pour nous. J'embrasse la scène de ces hommes au fer, entassés dans une soute de navire, attendant d'être tués ou forcés à travailler pour leur ennemi.

Certains n'y verraient qu'un tableau assez triste d'êtres pitoyables et sans âmes. Mais ayant sacrifié la mienne à ma Maîtresse et au Mal qu'elle représentait, je voyais en ces hommes aux regards fatigués et en colère un miroir. Une opportunité qui s'offrait à nous.

Ma voix s'élève dans la cale, s'adressant à tous mes compagnons mais surtout à Riario à qui je jette un regard entendu :
- Libérez-les...

Mon ton ne se prête pas à l'insubordination. Puis j'ajoute en tournant la tête vers les indigènes :
- Qui est votre chef ?

Il y a peu de chances que l'un de ces "sauvages" parle notre langue, mais le jeu me semble en valoir la chandelle. Me rappelant des conseil de ma Dame, je sais qu'il me faut les rallier à notre cause, ou plutôt utiliser la leur. Ces pauvres erres n'ont plus de terres, plus de vie. Comme moi, il ne leur reste sûrement plus qu'une chose qui les anime. La vengeance.

Les Français avaient peut-être trouvé un traître dans nos rangs, mais ils avaient eu la négligence de nous laisser des renforts.

Entassés, enchaînés par les fers, les indiens offrent un triste spectacle. Tu tiques sur un sujet néanmoins. Les français ont l’habitude de s’allier aux populations indiennes contre leurs ennemis, profitant ainsi de l’aide d’alliés qui connaissent le terrain et font office sans effort de chair à canons. Alors pourquoi ceux-ci sont enfermés dans cette cale ?

Tu n’as pas le temps de pousser plus loin les conjectures, libéré de ses entraves, l’un des indiens répond à ta question. Comme tu t’y attendais, la réponse est incompréhensible pour toi, mais tu notes des sonorités qui te sont familières. Vraisemblablement du français, déformé par une accentuation qui doit être dû à l’idiome natif de l’indigène. Il ne semble pas particulièrement craintif, sûrement rassuré par leur libération du fait de tes hommes. Il semble par contre interrogatif sur la suite.

A dire vrai, te voilà maître d’un navire français, chargé d’une cargaison humaine native de ces côtes. Mais votre objectif, le Fort de Coligny est toujours aux mains de l’ennemi. Le bruit de l’orage est soudain couvert par la voix tonitruante d’Enrique :

- Capitaine, l’autre navire français manœuvre par babord ! Ils se positionnent pour ouvrir les feu sur nous !

Apparemment, l'assaut de votre équipe sur le deuxième navire n'a pas connu la même destinée. Ou alors ta théorie sur une traîtrise prend de l'épaisseur...

J'esquisse une moue contrariée, tant à l'annonce de Riario qu'à mes réserves sur ces indiens. Je décide qu'ils n'ont dû leur sort qu'à leurs comportements, et passe à un sujet plus pressant.

Je plisse les yeux en écoutant les gréements grincer de plus en plus fort. Les vents de ces contrées sont violents lorsqu'un orage éclate. Ce genre de navire ne peut manoeuvrer aussi rapidement, ce qui voulait dire qu'il s'agissait bien d'un guet-apens.

J'esquisse  alors un sourire mauvais et un plan en repensant au positionnement du Navire et au sens du vent. A situation désespérée...

Je hurle depuis la cale à l'intention de Riario :
- Tout le monde sur le pont ! Larguez les amarres, hissez les voiles et préparez les canons ! Mais surtout, ne levez pas l'ancre ! Nous allons envoyer ces maudits Français par le fond !

Puis me tournant vers le chef indien que j'observe un court instant, je lui fais signe de nous suivre :
-Tous avec nous ! Dis-je dans un très mauvais Français pour le peu que j'avais pu en apprendre.

Tandis que tout le monde se met en route je suis mû d'une soudaine inspiration et arrête discrètement Enrique, lui glissant rapidement à l'oreille :
- Gardez un œil sur eux et ne leur donne pas d'armes. Si vous voyez qu'ils ne sont pas avec nous, donnez l'alerte et tuez les tous. Passes le mot.  

Je monte sur le pont supérieur à toute jambe, et m'installe devant le gouvernail, Riario à mes côtés. Lançant des ordres en tout sens pour donner à ce vent mauvais le plus de prise possible sur les voiles. Si j'arrive à donner assez de voilure et de bande à ce bateau sans avoir levé l'ancre, le Navire allait tourner autour, et si mes calculs étaient justes, nous mettre en position pour pouvoir répliquer. Une fois ceci fait, il n'y aurait plus qu'à lever l'ancre avant de continuer dans notre élan.

Évidemment, cette manœuvre est loin d'être sans risque pour le navire, que ce soit pour les mâts ou pour le navire lui-même qui risque de chavirer. Et cela sans compter la Maîtrise de navigation dont j'allais devoir faire preuve. Mais j'étais prêt à tout. De toute manière nous n'avions plus le temps d'évacuer dans les chaloupes, et aucune autre stratégie ne nous sauverait maintenant.

Avec un peu de chance nous aurions peut-être la satisfaction d'envoyer ces salauds en Enfer.

Lorsque tout est prêt, le vent tirant sur les voiles dans un grincement du grand mât, je crie par dessus l'orage en tournant la barre d'une main expérimentée :
- Accrochez-vous, moussaillons !

Comme un seul homme, tes équipiers réagissent au quart de tour pour répondre à ton commandement. En situation de danger, contester les ordres du capitaine revient à mettre tout le monde en danger. Plus surprenant, les indigènes se répandent eux aussi sur le pont, même si tu ne tardes pas à réaliser qu’ils ne sont en aucune manière des marins et obligent tes hommes à effectuer moults gestes pour expliquer ce qui est attendu.

Vous n’aurez pas la rapidité d’exécution que tu espères, mais au moins est-il ainsi possible de manœuvrer un navire de ce tonnage.

Pas besoin de longue vue pour voir que le navire adverse fait mouvement pour positionner ses canons de manière à faire feu dans votre direction. Moins audacieux dans leur stratégie, leurs manœuvre devrait leur prendre quelques précieuses minutes avant qu’ils n’ouvrent leur sabords pour déclencher le feu mortel des boulets de canons. Vous avez une chance.

Infime.

Dans de furieux claquements qui vrillent vos oreilles, les voiles sont déployées et livrées au vent tempétueux. Comme pour fournir un décor apocalyptique à ce combat dantesque, la pluie redouble, si cela est encore possible. Deux natifs basculent par-dessus bord depuis les gréements dans les flots déchaînés, victimes de la folie qui s’est emparée de l’embouchure de la baie de Guanabara.

Enfin, un craquement puissant et le brutal à-coup qui tire le bateau pris entre ses voiles et l’ancre manque de t’envoyer valdinguer sur la dunette. Accroché à la barre, tu parviens pourtant à garder ton équilibre. Tous n’ont pas cette chance et plusieurs silhouettes infortunées basculent à nouveau par-dessus bord sans que tu puisses déterminer s’il s’agit de tes marins ou d’indiens.

Le « Fierté du Roy » gîte alors dangereusement sur bâbord, attiré vers l'épicentre de la monstrueuse chaîne de l'ancre. Il te faut faire appel à ta force surhumaine par parvenir à maintenir la barre en contrepoids et éviter ainsi de sombrer. A tes côté Enrique serre les dents mais ne dit mot, mais les hurlements de peur jaillissent de toutes parts sur le navire. Votre position à 60° t’interdit de distinguer le bateau adversaire, mais tu as déjà calculé auparavant le bon moment. Grinçant de toutes ses lames de bois torturées, cordes arc-boutées et voiles tendues comme le ventre d’une femme en grossesse, le navire effectue une demie-rotation autour de l’axe formée par l’ancre.

Les secondes s’égrènent follement avant que tu ne donnes l’ordre à Riario d’une voix tonnante par-dessus la pluie et le vent :

- Levez-l’ancre !

Quelques secondes et puis l’inclinaison du "Fierté du Roy" change brutalement de sens, délivré de la contrainte exercée sur lui. Le navire manque de chavirer, mais après un jeu de bascule qui vous secoue en tout sens, finit par retrouver l’équilibre.

De manière incroyable, les voiles, les mâts et l’intégrité de la coque sont encore opérationnels. Poussées par un vent tonitruant, les voiles donnent alors une accélération brutale à votre bateau. Vous avez gagné la course au positionnement. Sans doute de quelques secondes avant que votre adversaire ne fasse feu. Quelques secondes que tu dois exploiter si tu veux que le miracle se prolonge.

D’une voix où transparaît un soupçon d’incrédulité et beaucoup de fierté, Enrique annonce à tes côtés :

- Canons prêts à faire feu, Capitaine !

J'ouvre des yeux écarquillés devant ce qui est clairement un miracle à mes yeux. Je m'aperçois soudain que je ne croyais pas vraiment que ma bonne étoile nous sauverait. Mais je devais me rendre à l'évidence, la Destinée me fait ici un signe, ou alors elle respectait suffisamment ma manière de la défier.

- Ah AH AH! m'exclamé-je dans un rire sec en levant le poing, comme pour faire un pied de nez à cette fichue Déesse de la malchance qui me suivait comme mon ombre depuis le début de ma courte existence.

Je réalise alors qu'il va maintenant falloir faire très vite, et me tourne vers Enrique en hurlant sur un ton exalté, tant à lui qu'à l'équipage :
- FEUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUU A VOLONTÉ !

Puis je me tourne vers le Navire Français, prêt à défier encore une fois le Destin en lui faisant face, les yeux grands ouverts, prêt à tout.

Bien qu’à nouveau titulaire d’une assiette stable, le « Fierté du Roy » gémit sous les assauts répétés du vent qui souffle dans tous les sens. Il ne souffle cependant pas assez fort pour couvrir ton rire de défi au destin et à ton ordre qui déchaîne le bruit sourd des canons qui font feu sur l’autre bateau. La fumée de ces derniers envahit peu à peu la dunette, mais vous êtes tellement au coude à coude avec votre adversaire que tu n’as aucun mal à constater les ravages de vos boulets de canon sur la coque du trois mâts qui vous fait à présent face.

A travers les rideaux de pluie, les cris et les râles des mourants de l’équipage adverse forment un concert sinistre, tandis que les impacts ont fait éclater les boiseries de l’autre bateau.

C’est à ce moment précis que Riario escalade avec agilité l’escalier menant sur le pont où vous vous trouvez.

- On a trouvé l’armurie et y’a de quoi faire ! Dit-il, sa trogne couturée de vétéran découpée par un large sourire.

Le choix est maintenant le tien : Aborder votre adversaire et s’exposer à ses canons ou filer vers l’intérieur de la baie de Guanabara en les abandonnant à leur triste sort.

Observant la fumée tourbillonnant sur l'Océan déchaîné, j'écoute l'annonce de Riario en plissant mes yeux de braise vers le navire de nos adversaires. Une multitude de pensées m'assaillent, mais je ne suis pas homme à me laisser arrêter.

Évidemment, je devrais penser à nos alliés sur ce vaisseau. Et nous en méfier, car ils risquaient de nous trahir et de trahir notre signal. Comme je devrais me méfier de ces natifs et de leurs intentions.

Trop d'enjeux pour ne pas aller jusqu'au bout. Et même si beaucoup de qualificatifs m'avaient été donnés depuis mon départ de ma patrie d'adoption, "lâche" n'en avait jamais fait parti.

Je ferme les yeux quelques secondes, humant l'air de la tempête. Les aborder et perdre un temps précieux et peut-être le combat, ou aborder la baie et risquer des complications futures.

Les sages paroles de Sergio me reviennent avec un relent des docks du port où nous travaillions : un problème après l'autre, mon ami, inutile de trop s'en faire pour l'avenir...

Oui, ma vie était bien moins simple qu'à cette époque. Mais finalement, sa sagesse restait. Mes doutes tombent dans un soupir et j'ouvre des yeux noirs humides d'un air décidé, tournant un visage ruisselant vers Riario, et hurle :
- "Fais envoyer le signal, mais le plus discrètement possible, ils ne faut pas qu'eux le voient ! Et armes tout le monde. J'ai bien dit tout le monde !"

Ne pas trop réfléchir. Nos alliés doivent nous observer de loin. Il faut qu'ils puissent avoir confiance malgré nos tirs. En espérant que nos adversaires n'aient pas eu vent de ce code ou ne le voient pas. Sinon il nous faudrait les couler d'abord, pour qu'ils n'aient pas l'occasion de piéger nos autres bateaux...


Quant aux natifs...S'ils sont enchaînés, c'est qu'ils ne sont pas leurs alliés. Du moins, je décide d'en rester là de ma réflexion. S'ils sont une menace pour nous, il faudra s'en débrouiller plus tard.

Je laisse un regard résolu pointé vers le navire en face de nous, attendant leur réaction à notre signal. C'était le moment de vérité.

Un simple “Bien, Capitaine!” de Riario suffit pour qu’il donne ses orders sur le pont, où sabres, mousquets et coutelas sont distribués aux membres de ton équipage disparates. Les armes à feu sont remises aux lusitaniens, tandis que les natifs prennent les armes blanches. Une certaine forme de surprise se lit sur les visages des anciens prisonniers quand on les arme, mais aussi une grande détermination, ce qui a tendance a te rassurer sur ton choix les concernant.

Enrique s’occupe quant à lui d’allumer deux fanaux à la poupe du « Fierté du Roy », avant de les couvrir par trois fois d’une couverture tel qu’était convenu le code avec la flotte d’Estacio de Sa. Tu plisses les yeux en direction de l’autre bateau français, essayant de voir s’ils utilisent le code eux aussi, mais tu ne détectes aucun fanal allumé sur leur navire. Par contre, les faibles échos qui te parviennent de leur bateau du fait de la pluie battante sont ceux d’un équipage qui se prépare à une contre-attaque.

La voix d’Enrique te parvient avec une forme de soulagement perceptible :

- Capitaine, le Minerva a répondu favorablement !

Si Estacio fait vite, votre adversaire sera rapidement éliminé. S’il traîne, vous serez sous le feu ennemi en gardant cette position…

Mes yeux aussi sombres que le ciel qui déverse sa divine colère sur nous observent encore quelques instants le vaisseau qui nous fait face, avant que je ne crie dans la tempête en tournant le gouvernail à toute vitesse :
- Donnez de la voilure ! Barre à tribord toute, vers l'intérieur de la baie !, crié-je par dessus la tourmante qui se déchaîne autour de nous.

En réponse aux manœuvres de l’équipage qui suit tes ordres, le vent s’engouffre dans vos voiles pour propulser votre navire vers la baie malgré la houle déchaînée. Tu sais que tu exposes ainsi ton navire à une dernière salve adverse, mais un craquement sinistre qui couvre les hurlements du vent et les vagues qui tapent votre embarcation vient mettre un terme au suspens. La coque de votre adversaire, fragilisé par vos boulets de canons, vient de rompre au cœur de la tempête. Lentement mais sûrement, le destin de son équipage est de rejoindre les fonds océaniques.

Il ne vous faut que quelques minutes pour dépasser les premières îles qui la jonchent et pénétrer dans la baie de Guanabara. Moins exposé aux vents tourmentés, votre navire retrouve une assiette plus stable. La pluie elle continue de tomber en rideaux drus. Pour la première fois de ton existence, tu pénètres sur l’un des territoires vierges du nouveau-monde. Un monde où tout semble possible.

Un coup d’œil en arrière te permet de repérer les fanaux de signalisation de la Minerva et de la Nuestra Senhora da Gloria qui devancent la flotte portugaise. Devant toi, la Ilha das Palmeiras et le Fort Coligny. Les éclaireurs devaient vous signaler leur réussite par deux feux allumés. Mais le Fort, masse sinistre surplombant l’île, est plongé dans l’obscurité, comme dans une torpeur ensommeillée.

Tu peux sentir la crainte qui envahit ton équipage, et les regards apeurés des Amérindiens dans ta direction. Tu le sens toi aussi. Quelque chose de malsain palpite au cœur de cette île.

J'émets un discret soupir de soulagement en entendant le craquement de la coque du navire. Mais dans ce cœur calciné par le sang obscur se débat ma culpabilité d'abandonner mes hommes. Je jette un regard vide en direction du vaisseau tout en triturant le pendentif accroché à mon cou par une simple lanière de cuir usée. Une pièce trouée et gravée du symbole des deux corbeaux sur un bateau. L'emblème du Portugal. Mais aussi des Frères Corvos, le sobriquet dont on nous avait affublé Sergio et moi au départ de cette aventure en Terra Incognita. Mon ventre se serre tandis que je me remémore avec nostalgie de nos péripéties, le sourire franc et la jovialité de ce frère qui était à la fois une lumière dans la nuit et ma boussole dans l'Océan de mes doutes.

Mais la vérité était que ce sourire s'effaçait peu à peu, disparaissant avec mes souvenirs dans les limbes de l'oubli. Et cela me terrifiait tant que je serrais ce médaillon comme si la mémoire de Sergio lui était attaché. Comme si ce simple bijou pouvait à lui seul sauver mon âme en perdition.

Je détourne alors les yeux du Brick qui sombre lentement au loin, averti par l'accalmie que nous entrions dans la Baie. Le spectacle, même nocturne, est tout simplement saisissant et merveilleux. Il est à la hauteur de tout ce dont j'avais rêvé pendant mon enfance, me parcourant d'un long frisson. Mais malgré cela, cette fresque enchanteresse et exotique a maintenant pour moi la couleur du feu et du sang, le goût amer de la cendre et du sacrifice.

L'obscurité de l'île ne rassure pas les peurs de l'équipage. Les éclaireurs sont morts. Et une menace plane à l'horizon. Une menace sacrée que même les mortels peuvent sentir. Une menace démoniaque, à n'en pas douter. Pourtant je reste là, aussi immobile qu'une statue, à observer notre destination.

Les conseils de Catarina me reviennent en mémoire :
Lorsque tout te semblera perdu et la mort à ta porte, restes calme et fais le point. Évalues l'ennemi, ses forces et ses faiblesses. Et trouves une issue. Et s'il ne te semble y en avoir aucune, crées la en te servant de tout ce qui est à ta portée.

Même si tout ceci me semble trop rhétorique, je décide en désespoir de cause de tenter de me remémorer tout ce que nous venons de traverser et ce que cela m'apprenais sur l'ennemi.

Nous avions été trahis. Serrant les poings derrière mon dos, les traits d'Estacio de Sa me viennent comme une évidence pour illustrer un tel acte de lâcheté et d'opportunisme. Cet imbécile jaloux avait dû évaluer ses chances et penser qu'il était plus sage pour son "avancement" de s'allier à l'ennemi.

Racaille. Je le démembrerais dès que cette île sera à nous...

L'ennemi nous avait berné. Piégé. Nous avions réussi à nous en sortir...Mais était-ce vraiment le cas ? Il y avait trop d'ombres à éclaircir. J'avais besoin de réponses. Je repensais aux Français prisonniers que j'avais fait mettre au fer. Sans même un regard à Riario, je descends du pont en lui glissant :
- Suis moi...

Je dirige mes bottes rapidement dans la cale. Arrivé devant les Français mis au fer, je les observe les uns après les autres, une aura menaçante passant dans mon regard. J'annonce à Riario :
- Traduis..., avant de tourner mes yeux charbonneux vers eux en faisant lentement les cent pas les mains dans le dos : - Je suis celui que vous appelez le "Corbeau". J'ai des questions. Et votre vie va dépendre de vos réponses.

Je laisse planer ma menace. La plupart des Français me connaissaient comme le boucher des Français, ou le "Corbeau", dans leur langue. Un tas de légendes circulaient sur moi dans les ports et les tavernes.

J'enchaîne directement en m'approchant d'eux :
- Qui nous a trahi ? Pour qui travaillait votre ancien Capitaine ? Et qu'est-ce qui nous attend sur cette île ?, puis j'ajoute en les fixant d'un regard noir aussi vide que les abysses : ...Sachez que si vos réponses ne me plaisent pas, vous viendrez avec nous...

Pris entre souvenirs nostalgiques et précarité de votre situation, tu décides finalement d’aller interroger tes prisonniers français pour comprendre dans quel traquenard tu t’apprêtes à plonger. Alors que vous vous apprêtez à descendre les escaliers vers la cale, l’un des Indiens pointe du doigt l’île en s’adressant à toi dans sa langue natale, tu peux sentir à quel point il est paniqué. Devant ton air d’incompréhension, il prononce difficilement quelques mots en français que Riario te traduit alors que vous entamez votre descente :

- Il dit que la mort rôde sur l’île. Qu’il faut prier le Dieu de la lune pour la repousser…

Sur cette étrange déclaration, tu gagnes les cales où les français sont enferrés là où l’étaient il y a peu encore les natifs des terres qui vous entourent. Riario s’exécute en traduisant tes menaces et tes questions dans un français qui semble limpide. Un soir que vous buviez ensemble du rhum à Salvador de Bahia, celui que tu considères comme ton second t’avait affirmé en riant à gorge déployée qu’il avait appris le français dans les jupons des françaises. L’atmosphère étouffant de la cale n’est pas vraiment propice aux mêmes rires qu’alors.

L’inquiétude des regards que s’échangent les français te laisse penser que ton surnom et tes menaces ont fait leur effet. Plusieurs regards se tournent vers l’un des captifs. A la tenue outrageusement ornementée (un stigmate récurrent des armées françaises), tu devines qu’il doit s’agir de l’officier le plus gradé parmi les survivants de votre affrontement.

A la façon de répondre et à l’attitude de l’officier, tu devines que ce dernier tente une bravade. Riario ne s’embarrasse pas à te traduire ses propos et dégaine à la place un mousquet de son ceinturon pour tirer dans le visage du soldat français le plus proche de l’officier. Des morceaux de chair humaine éclaboussent en tous sens la tenue d’apparat de l’officier et les alentours, jusqu’à tes bottes. Des cris jaillissent de toute part chez les français, dont quelques insultes en français que toi-même reconnais à l’adresse de leur supérieur. Riario repose la même question à quelques centimètres du visage de l’officier. Ce dernier poursuit pourtant sur la même ligne de conduite.

Cette fois-ci, Riario te consulte du regard et ton assentiment silencieux provoque son action immédiate. Il dégaine cette-fois-ci son sabre et l’abat avec force sur la cheville de l’Officier. Un râle horrible s’échappe alors de sa gorge, suivi d’un flot de paroles saccadées, entre des sanglots de douleur tandis que ses mains attrape sa jambe mutilée.

Le visage fermé, Riario se tourne vers toi et récite d’un ton neutre :

- Il dit qu’ils ont reçu leurs ordres du Seigneur de Bois-le-Comte, le neveu du Vice-amiral de Villegagnon. Tous les soldats craignent ce Seigneur de Bois-le-Comte, qu’ils ne voient que de nuit et dont certains affirment qu’il se repaît du sang des Indiens Topinamboux. C’est lui qui a organisé le piège et qui leur a dit que nous arrivions et que nous tenterions d’infiltrer des éclaireurs pour faire tomber le Fort.

Les larmes ont maintenant remplacer les mots pour l’officier français dont le sang se répand sur le bois du fond-de-cale.

Écoutant patiemment les paroles de Riario, je tressaille tout de même une seconde. Un Cainite. Parmi tous les adversaires que j'aurais préféré ne pas croiser, il avait fallu que ce soit le pire. Cela expliquait peut-être certains événements récents, mais épaississait encore le mystère des intentions du Seigneur Bois-le-Comte. Pourquoi ne pas avoir utilisé une autre stratégie ? Pourquoi ne pas avoir tout simplement saboté de l'intérieur cet assaut s'il en avait le pouvoir ?

Je me rappelais des enseignements de ma Maîtresse : Les buveurs de sang sont immortels, et deviennent très vaniteux et joueurs avec l'âge. Mais tous les non-morts peuvent mourir une seconde fois. Définitivement. La décapitation. Le feu. Le soleil. Certains sont plus difficile que d'autres à abattre, certains ont requis des armées entières pour les terrasser. Mais finalement, personne n'échappe vraiment à la Morte...

Malgré tout, les dons obscurs des vieux vampires pouvaient les rendre presque immortels, et ils pouvaient influencer les esprits plus faibles, les rendre aussi doux et apeurés que des agneaux devant un loup, et les écorcher vifs avant même qu'on le comprenne.

Un frisson d'un sentiment que je réprimais depuis un moment me traverse, et je m'en morigène. La peur. Malgré mes dons de serviteur obscur, je n'étais rien face à une telle créature. Et cet équipage n'était sûrement pour lui qu'un banquet sur lequel il comptait bientôt festoyer.

Pouvait-il lire en moi, ici et maintenant, nous attendant dans cette jungle hostile ?

Je soufflais intérieurement pour ne pas sombrer dans cette méfiance déraisonnable, me concentrant sur ce que je savais plutôt que sur ce que j'ignorais.

Le Seigneur Bois-le-ComPte était certainement un Cainite. Ce Capitaine que j'avais éliminé tantôt devait être un de ses lieutenant, et sûrement un serviteur obscur de son sang. Je n'avais été sauvé que par une intervention qui était peut-être son fait, ce qui voulait dire qu'il était extrêmement puissant, soit du fait d'un de ses ennemis, ce qui voulait alors dire que j'avais un allié puissant. Et je soupçonnais que les indigènes dans ce vaisseau était certainement son en-cas habituel, ou un délassement de chasseur. Peut-être aimait-il chasser ? Ce qui expliquait pourquoi il nous avait laissé venir jusqu'ici. Le beau geste à la Française, comme ils aimaient à l'appeler.

La situation était désespérée. A tout le moins en apparence. J'avais confiance en mes dons mortels et ceux de mon sang, mais je n'étais certainement pas de taille à affronter une telle abomination. Et ces hommes encore moins.

Le feu pourrait peut-être l'éloigner un peu, mais il connaissait certainement mieux le terrain que nous, et peut-être avait-il d'autres serviteurs qui nous attendaient dans le marasme de cette terra incognita devenue bien plus menaçante que dans mes rêves. Le soleil demeurait une solution, mais combien des nôtres périraient cette nuit, leur permettant encore de contrecarrer notre attaque et nos futurs assauts, et faire de moi un mort en sursis pour ma Maîtresse ? Mais si je pouvais mettre la surprise de notre côté, nous avions peut-être encore une chance.

Je ne pouvais plus reculer, et il le savait. Alors que me restait-il ? La Haine. La colère. La rage de ces maudits Français dont ce monstre faisait partie. Alors que pouvais-je faire si ce n'est faire quelque chose de fou là où toute chance de survie semblait soudain nous être ravie par les fils de la destinée ?

Après une longue période de silence où je fais les cents pas, je me retourne vers les soldats après un hochement de tête à Riario. Je fixe le Capitaine, puis tous ces hommes :
- Vous avez été floué. Par un démon qui n'a pas plus d'intérêt à vous voir vivre qu'un pêcheur à voir survivre son appât. Et vous voilà dans notre gueule, à attendre une mort certaine entre nos mains... Dis-je sur un ton grave, avant d'ajouter en regardant leur Capitaine : Néanmoins j'ai du respect pour le Courage et la Loyauté dont vous avez fait preuve. Mais elle est mal placée...Maintenant il n'y a plus que deux chemins qui s'offrent à vous : Rester ici et périr, soit par nos mains soit par celles de ce démon sanguinaire - qui vous pouvez me croire n'aura aucune pitié pour vous - Soit...Tenter votre chance avec nous. Je vous promets que la Mort sera sûrement notre lot si nous échouons. Mais je vous promets aussi que vos crimes seront grâciés si vous y survivez et que nous réussissons...

Je balaie l'assistance d'un regard noir, avant de finir :
- Je vous offre ce choix. Sûrement le dernier que vous aurez. Mais c'est plus que ce que votre Seigneur vous offrira. Alors choisissez. Rapidement, finis-je en dégainant mes deux lames avec lesquelles je trace une ligne sur le plancher de la cale d'un double mouvement croisé vif comme les éclairs du dehors : Avancez d'un pas au-delà de cette ligne, et vous vivrez au moins pour combattre pour votre vie. Restez en deçà, et vous mourrez entre les griffes d'un Démon, ou sur une potence... Silence : Ce choix est le vôtre.

A situation désespérée, mesure désespérée, me dis-je sans y croire vraiment. Cette manœuvre avait l'odeur de mon orgueil, un orgueil dont on m'avait déjà annoncé qu'il me ferait finir mort ou pire encore. Peut-être était-ce le moment. Le moment de prier...

Je me souvins alors des paroles énigmatiques de l'indigène. Prier la Lune...Et pourquoi pas ?

Après avoir fait libérer ceux qui avaient franchi la ligne, leur donnant même armes et munitions devant le regard sûrement médusé de l'équipage, je fais passer le mot qu'ils seront nos alliés maintenant et qu'on ne leur fasse aucun mal. Je glisse quand même le mot à Riario discrètement de surveiller qu'ils ne s'en prennent pas à nous. Je me doute que certains tenteront de s'enfuir. Mais ils fourniront alors une diversion peut-être efficace, en espérant que le reste de nos troupes allaient nous suivre et qu'ils n'étaient pas déjà corrompus par le traître. Je n'en savais rien, mais je ne pouvais qu'espérer et suivre le plan établi en attendant d'y voir plus clair. Et en comptant sur cet allié imaginaire, ce qui n'était après tout pas un espoir plus stupide qu'un autre vues les circonstances.

J'envoie tout de même Enrique pour tenter de voir si nos navires suivaient et si des combats avaient déjà éclaté. Dans le même temps, je tente de repérer avec Riario cet indien qui nous avait parlé de la Lune, aussi saugrenu que cela avait pu me paraître de prime abord. Je devais exploiter la moindre faiblesse.

Une fois trouvé, je demande à riario de me traduire, même approximativement :
- Vous connaissez un moyen de repousser ce Démon de la mort ? Prier la lune ? Qu'est-ce que ça veut dire...Dis-je en tentant une approche aussi désespérée que notre situation.

La tempête reflue peu à peu et laisse une bruine tropicale contribuer un peu plus à coller vos vêtements sur votre peau. La masse brune de l’île du Fort de Coligny apparaît au loin, menaçante. Les soldats français se regardent les uns les autres lorsque tu leur fait une proposition inattendue. Maintenant que les gréements ont cessé de grincer sous l’effet du vent, les gémissements du capitaine français mutilé sont les seuls bruits qui viennent troubler le silence qui suit ta déclaration. Après un léger flottement, les soldats français franchissent la ligne que tu viens de tracer sur le pont, choisissant la vie plus que la mort, encore que celle-ci ne devrait plus tarder pour eux malgré ce bref répit. Tu sens la méfiance de tes hommes à leur égard, mais ils n’osent pas contester tes ordres.

Il ne vous faut qu’une rapide inspection des indigènes à bord du navire pour retrouver le jeune homme (encore que tu as le plus grand mal à déterminer leur âge) qui avait évoqué le « Dieu de la lune ». Quelques mots difficilement échangés en français entre l’indien et Riario amènent à une traduction approximative qui laisse ton fidèle lieutenant dubitatif, alors que le jeune homme pointe du doigt la côte. En plissant les yeux, tu distingues la forme d’une montagne au sommet arrondi situé entre terre et mer au sud de votre position.

- Il dit qu’il faut faire une cérémonie sur cette montagne, la… Il hésite… « Pau-nh-acuqua » pour tirer le Dieu endormi de son sommeil, et alors son pouvoir chassera les démons de l’île. Enfin c’est ce que j’ai compris de ces salmigondis... conclue  un Riario peu convaincu.

L’indien lui continue de pointer du doigt la montagne tout en te fixant comme pour te convaincre du bien-fondé de ses dires.

C’est le moment que choisit Enrique pour apparaître à tes côtés, son air goguenard toujours figé sur ses traits.

- Capitaine, le commandement de la Minerva et de la Nuestra Senhora da Gloria nous informe de leur volonté de tenir un conciliabule immédiatement à bord de la Minerva.

Ses mains seules révèlent la nervosité qui l’habite.

- On vous affrète une barque ? Demande-t-il tout en gardant un œil sur les soldats français qui attendent leurs ordres et en balayant du regard les indigènes. C’est que ça va devenir difficile de tenir tout le monde en même temps.

Mon regard noir profond observe distraitement le mystérieux Mont au lointain. Je tourne la tête vers l'indien, puis vers Enrique. Mes yeux se plissent soudain une seconde tandis qu'il m'annonce la demande de la Minerva et sa demande.

De ce que je sais de ce rufian, la nervosité ne lui est pas familière. Peut-être est-ce à cause des improbables alliances que je viens de conclure. Ou peut-être que...Je tressaille. Et si ce bandit d'Enrique était un traître ? Était-ce seulement la suspicion qui chuchotait à mon oreille ?

Même si la mission qui m'avait amené ici en portait son lot, je détestais profondément les complots et la traîtrise. Des armes de lâches et de traîtres, qui me donnaient l'impression d'être piégé dans un bateau dont je n'étais qu'un passager. Mais j'avais aussi appris pendant ce voyage que ne pas prêter assez d'attention à ces manigances pouvait s'avérer mortel. Peu importe quelle en était la nature la nervosité d'Enrique était suspecte. Je devais savoir s'il m'avait trahi ou s'il avait l'intention de le faire.

Laissant là l'indigène qui me fait de grands gestes, je porte une expression énigmatique vers Enrique, et lui dis sur le ton de la demi-plaisanterie :
- Eh bien, mon ami, tu as l'air nerveux...Quelque chose ne va pas ?

Malgré mon air détendu et franc habituel, j'observe attentivement l'attitude d'Enrique Il allait sûrement se servir de la présence des Français et des indigènes comme d'une excuse à son attitude. Je m'efforce donc de trouver la vérité dans son regard, le germe du mensonge et la graine de la trahison que j'avais déjà vu de nombreuses fois maintenant.

Voyant que tu te désintéresses de ses dires, l’Indien s’adresse dans sa langue aux siens qui retournent aux postes qui leur ont été assignés. Enrique, lui, répond à ta question comme s’il l’a trouvait bizarre :

- Sauf votre respect, y’a de quoi être nerveux capitaine. On est à bord d’un navire français, qu’on fait voguer avec un équipage d’indiens et de français. Je respecte votre autorité, hein, cap’taine, mais faut pas nous reprocher d’être un peu nerveux. Alors qu’est-ce qu’on fait du coup ? Pour la Minerva je veux dire…

Même si tu n’en as pas le sentiment, il est impossible de dire si Enrique joue la comédie ou pas. Par contre tu remarques le visage fermé de Riario dans la pénombre alors qu’il t’observe. Une fois que tu as fini de donner tes ordres à Enrique, Riario se rapproche de toi. Une lueur étrange brille dans ses yeux.

- Vous devriez faire confiance aux hommes qui sont avec vous, dit-il d’un ton neutre et dépassionné que tu ne lui connais pas. L’ennemi n’est pas sur ce bateau, mais bien dans cette forteresse que nous devons conquérir.

Il te fixe, comme s'il te jaugeait. Non pas ta décision, mais bien toi en tant que personne.